Quelle monnaie mérite la confiance de l’épargnant qui chercherait à préserver son capital en vue de la retraite? La réponse n’est pas aisée. Mettre son épargne sous le matelas n’est plus possible. «Un homme de 30 ans qui projette de prendre sa retraite dans 30 ans doit calculer avec un facteur de dépréciation de 3, selon Guido Hülsmann, dans son récent ouvrage sur les monnaies
«C’est la pire instabilité monétaire depuis 3000 ans», selon le prix Nobel Robert Mundell. Existe-t-il une monnaie qui permette à l’épargnant de préserver son capital? Mettre son argent sous le matelas n’est plus possible. «Un homme de 30 ans qui projette de prendre sa retraite dans 30 ans doit calculer avec un facteur de dépréciation de trois, écrit Guido Hülsmann, dans son récent ouvrage sur les monnaies 1. La stabilité à long terme du pouvoir d’achat des monnaies (PAM) n’a jamais été soumise à pareille entreprise de démolition, pour ce professeur d’université et célèbre représentant de l’école libérale autrichienne. L’épargnant est pénalisé, sacrifié, forcé de se frayer un chemin dans le dédale des produits financiers pour préserver son capital.
Dans son livre, l’auteur dépasse un cadre historique étroit pour présenter une théorie non consensuelle de la monnaie et intégrer les dimensions politiques et morales. Car pour ce démystificateur des politiques des banques centrales, le système monétaire est la cause de la montée du nationalisme et du centralisme étatique.
Le premier penseur qui avança l’idée d’un PAM stable a été Saint Thomas d’Aquin. Il fallut ensuite attendre le XVIIe siècle, avec John Locke (PAM lorsque le stock de monnaie ne varie pas) et David Ricardo (lorsque l’unité monétaire conserve son pouvoir d’achat) pour reformuler ce postulat. Une définition impartiale n’est pourtant pas aisée. Il reste que l’éradication du PAM par la dépréciation des monnaies s’est accélérée: De l’an1066 à 1601, le stock de monnaie a augmenté artificiellement de 30% et la livre d’argent a perdu un tiers de sa valeur. Durant les deux siècles suivants, avec l’émergence du système bancaire moderne, ce facteur d’augmentation monétaire a été de 16. Et de 1971 avec l’avènement du papier-monnaie jusqu’en 2007, la masse monétaire a augmenté de 7,6 fois (Etats-Unis).
L’épargnant est victime d’une inflation que l’auteur définit comme «l’augmentation de la quantité nominale d’un moyen d’échange au-delà de la quantité qui en aurait été produite sur le marché libre». L’expression «marché libre» signifie ici une «coopération sociale conditionnée par le respect des droits de la propriété privée». En ce sens, l’inflation est «une augmentation de la masse monétaire par une violation des droits de propriété». Elle n’est pas seulement redistributive, mais «elle crée ses avantages par la force», selon l’expert.
Dans une thèse à mille lieues de la pensée unique, des «truismocrates» et des «possédés de l’homogène», pour reprendre Philippe Muray, Hülsmann défend avec conviction la monnaie dite naturelle, celle qui non seulement joue le rôle de moyen d’échange, mais qui a aussi une valeur avant d’être utilisée comme monnaie (exemple l’or et l’argent). La monnaie naturelle résulte de la coopération volontaire des individus. A l’inverse, la monnaie papier que nous connaissons aujourd’hui ne répond pas à ces critères. «Elle n’a jamais émergé spontanément sur le marché, mais toujours sous la contrainte de l’Etat», écrit-il.
Par son opposition à la dégradation des monnaies, Guido Hülsmann s’inscrit dans les traditions chrétiennes et libérales. La défense de la production naturelle de monnaie date du XIVe siècle avec l’évêque Nicolas Oresme, auteur du premier traité jamais écrit sur la monnaie. Au siècle dernier, c’est l’école libérale autrichienne qui reprit le flambeau avec Ludwig von Mises (1881-1973) et Murray Rothhbard (1926-95) – Hülsmann a d’ailleurs écrit une biographie de Ludwig von Mises (1143 pages). Pascal Salin, Jesus Huerta de Soto et Pierre Leconte s’inscrivent aussi dans cette lignée.
La thèse monétaire de Hülsmann permet de mieux comprendre les mécanismes de l’explosion de la dette publique. En tout temps, ce sont les gouvernements qui ont été les principaux bénéficiaires de l’inflation. D’une part, ils ont contraint tous les citoyens à accepter les billets comme s’il s’agissait d’une monnaie naturelle. D’autre part, ils ont attribué à la monnaie papier divers privilèges (cours légal, monopole légal, suspensions légales des paiements) qui lui ont assuré une circulation plus large que celle qui aurait été la leur sur le marché libre.
L’élément fondateur du système actuel remonte aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec l’octroi du monopole du cours légal aux billets d’une banque à réserves fractionnaires (lorsque l’émission de billets se fait en plus grand nombre que la banque n’en a en réserve). Quant à l’avènement du papier-monnaie, il date du 15 août 1971 quand la Réserve fédérale a suspendu le remboursement de ses billets. Aujourd’hui plus personne ne parle en effet de reprise par la banque centrale des billets en espèces. Il résulte de cette décision qu’aucune banque centrale ne peut faire faillite et que les ressources monétaires potentielles d’un gouvernement sont illimitées. Il bénéficie d’un crédit infini auprès de sa banque centrale. Comme l’investisseur sait que le gouvernement pourra toujours faire face à ses obligations financières, il est prêt à en acheter toujours davantage même s’il sait que l’Etat ne pourra pas tout rembourser. Sous un régime de monnaie papier, la dette publique croît donc plus vite que le stock de monnaie.
L’auteur va très loin et attribue à l’inflation «décrétée» non seulement la croissance «exponentielle de l’Etat providence», mais aussi «l’éradication des standards moraux et sociaux» au détriment de la famille.
Impossible de revenir en arrière et de réformer le système monétaire? C’est une question de bonne volonté, selon Hülsmann. 40 ans après la fin du système de Bretton Woods, l’auteur dresse un bilan particulièrement sombre, mais fort utile. L’inflation «décrétée» est effectivement une injustice sociale.
1. L’éthique de la production de monnaie, Jürg Guido Hülsmann, L’Harmattan, 2010.
Source : Le Temps
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